La semaine dernière j’ai publié un post sur mon blogue en anglais qui a suscité pas mal de discussions. Je le reproduis ici car je suis franchement très intéressé de connaître ce que les lecteurs francophones en pensent.
Récemment, mon ami Gary Angel (sûrement *le* blogueur en Web Analytics que vous devriez suivre si vous aviez à n’en choisir qu’un seul) a écrit un texte aux implications profondes. En quelques mots, Gary écrivait qu’une agence Web ou de publicité ne pouvait pas être aussi celle qui rapporte si oui ou non les stratégies promotionnelles et les campagnes, dont elle était responsable, ont eu du succès ou non. Je dois dire que, en général, je suis tout à fait de son avis.
Je participais le 22 juin dernier à une petite conférence Web Analytics ici à Montréal et cette question surgit lors du dernier atelier de la journée. Il y avait plusieurs participants provenant des agences (ici, par « agences » j’entends les agences de marketing Web ou de publicité, pas celles spécialisées en mesure) et leur position était, sans surprise, que « oui, absolument, nous pouvons être objectifs et notre direction nous supporte ». Loin de moi l’idée de croire que ces personnes mentaient, ni même racontaient des bêtises; ces analystes semblaient bien convaincus. Cependant, je ne suis pas si certain que cela que ces analystes puissent faire leur travail sans pression et qu’ils soient libres de dire toute la vérité. Les pressions doivent être certainement très fortes de présenter les projets de plusieurs millions de dollars/euros sous un jour positif. Gary y va même de façon encore plus brutale (ma traduction) :
Dans un monde où il y a les mensonges, les mensonges véniels et les statistiques [lies, damned lies, and statistics, une expression souvent employée en anglais], pourquoi laisseriez-vous vos agences mesurer leur propre performance ? Si vos agences travaillent en silo, elles ont toutes les raisons (et la capacité) de présenter leur canal comme ayant le maximum de succès. Si vous avez concentré toutes vos activités auprès d’une seule agence, celle-ci a toutes les raisons (et la capacité) de montrer tout son programme comme ayant du succès et de ne pas creuser trop loin un ou des éléments.
Il s’agit d’une question bien complexe, qui prend racine dans la culture d’agence, de la relation entre le client et l’agence et jusqu’à quel point cette relation laisse place à l’erreur.
Tout le monde sait que la créativité est au coeur de ce que font les agences : ciel ! c’est la raison pour laquelle les clients les embauchent ! Je pense que trop de gens croient que la créativité est antithétique de la mesure, ou du moins que, face à de piètres résultats, une idée très originale doit bien avoir beaucoup de valeur. J’en ai discuté ailleurs (en anglais), et tout ce que je voudrais dire ici est que trop souvent on place la créativité au-dessus de tout chez beaucoup, beucoup d’agences (vous savez, « Nous n’avons pas augmenté nos ventes, mais notre agence a remporté plusieurs prix »).
L’autre facteur est, à mon avis, la raison principale de la si grande difficulté à établir une culture de la mesure dans les agences. Je doute sincérement que les clients soient capables d’accepter les admissions honnêtes d’échec. Et cela est particulièrement vrai si leur propre culture ne laisse aucune ou peu de place à l’erreur. Étant donné qu’en somme, les clients engagent les agences pour leur expertise, « elles doivent bien savoir ce qu’elles font », il est bien facile pour tout le monde de croire qu’expertise veut dire avoir raison, toujours. De toute façon, pourquoi payer quelqu’un pour se tromper quand on peut très bien le faire soi-même pour beaucoup moins d’argent ?!
Ainsi, je ne suis pas certain que l’analytique puisse trouver un environnement favorable au sein des agences. Évidemment, vous pouvez très bien nous accusez, Gary et moi, d’être biaisés étant donné que nos firmes respectives évoluent dans les services conseil en analytique.
Le choix du biais vous appartient.
Bonjour Jacques,
Un très bon billet — en français comme en anglais !
Ayant moi-même été des deux côtés de la clôture (côté client pendant 15 ans, à la tête d’un portefeuille de marques et maintenant à la tête d’un cabinet de marketing web), je peux vous confirmer que plus souvent qu’autrement, la culture de la mesure est aussi difficile à implanter du côté de l’annonceur que du côté de l’agence !
Je me concentre ici sur les agences Web qui ont la capacité et la capabilité de mettre en place un processus d’analytique pour elles-mêmes et pour leurs clients (je laisse donc de côté les grandes agences à prime abord de communication et de pub, avec une branche web, dont la force motrice première est la créativité, et non la rentabilité ou la mesure du résultat — comme souvent ces agences ont les clients qui vont avec, tout le monde est content et la mesure est vraiment une préoccupation de second plan).
Même s’ils sont sensibles, en théorie, à la mesure des résultats, et qu’ils apprécient quand l’agence web leur fournit rapports et analyses statistiques, les clients en sont encore souvent à mesurer le succès ou la défaite en termes de nombre de clics et de visites. Il est très ardu de les amener à intégrer la mesure au coeur même de leurs systèmes et de leurs campagnes web. Pour eux, l’aspect idéatif et créatif du marketing prend encore le dessus sur le côté moins sexy de la chose. C’est donc un travail de fond de changer la perception et de les amener à investir et à se doter de systèmes et de processus qui deviennent des outils de travail et d’amélioration continue.
Je suis d’avis qu’une agence de marketing Web sérieuse et bien outillée, qui place la rentabilité et l’intégrité au coeur de sa philosophie, est en mesure faire un travail objectif et stratégique d’analytique web pour ses clients, pour peu que le client y soit réellement ouvert.
Merci !
Bonjour Marie-France
Merci de votre commentaire. Je retiens que vous placez au coeur du problème la culture même de la mesure, ou son absence, du côté client comme un facteur déterminant. C’est certainement très vrai, car je crois également que les agences adopteraient plus vite une culture des résultats si leurs clients le demandaient. Mais bon, encore beaucoup de marketeurs ne sont pas évalués sur leur contribution à la profitabilité, et il y a toujours bien des façons de donner du spin à une campagne de toute façon.
Allo Jacques,
La problématique du « juge et partie » se retrouve à plusieurs niveaux en Web Analytique.
Comme il l’a été mentionné, qui analyse les résultats au niveau humain ? L’agence, l’annonceur ou le consultant.
On peut également appliquer cette problématique aux solutions analytiques utilisées.
Pour les campagnes de liens sponsorisés, le cas de Google est le plus connu (mais pas le seul).
On achète de la publicité sur Google AdWords et on en mesure l’efficacité sur Google Analytics…
Pour un annonceur soucieux de l’impartialité de ses résultats, je recommanderai à la fois d’utiliser une solution analytique indépendante et de faire appel à un consultant externe à l’agence qui gère les campagnes et à l’annonceur.
Mais travaillant moi-même pour une solution analytique indépendante… Je vous laisse à mon tour le choix du biais 🙂
Salut Alexandre,
Merci de ton input et d’ajouter un autre biais 😉
Tiens, ça me rappelle quand j’ai développé un outil pour analyser le rendement des placements médias Web. Ho, c’était fort simple, ça ne faisait que récolter des statistiques sur la visibilité d’une publicité, les interactions, combien de temps, combien de fois, combien l’ont eu sous les yeux au complet, etc.
Ça n’a pas « accroché » aux agences à qui je l’ai présenté. Disons que le moins ils en savent, le moins ils peuvent déformer la réalité…
Sinon, curieusement. c’est parfois le client qui ne veut pas trop en savoir en bout de ligne.
Oh boy, Stéphane! Je pourrais écrire des pages sur cette question. Ça ne m’étonne pas que tu n’aies pas reçu un accueil chaleureux de la part des agences. WAO est souvent en confrontation, non désirée, avec les agences Web/Pub de ses clients, car nous sommes vus comme des empêcheurs de tourner en rond.
Quant aux clients… Avec tout le respect que j’ai pour eux, enfin les miens car ce sont des organisations qui ont compris l’importance de l’analytique, il y a encore tellement d’entreprises/ministères qui ne font rien de vraiment probant avec l’analytique malgré les sommes astronomiques qu’ils investissent dans le Web. Cela fait près de 10 ans que je fais de la consultation en analytique Web et je m’étonne qu’il faille encore convaincre de l’importance de l’analyse. Et je sais que malheureusement plusieurs organisations vont dormir au gaz pendant encore longtemps….
Je leur sort toujours l’exemple du gérant d’épicerie qui sait exactement combien rapporte chaque pied carré de son magasin, le montant par panier, la fréquence des visites, etc. Son épicerie est disposée de façon à optimiser la rentabilité. Les chips à telle hauteur, cette canne de bines à telle haute. Les door crashers bien en vue, etc.
On me répond que c’est logique.
C’est logique d’évaluer la performance pour un magasin, mais pas pour un site Web qui a coûté des milliers de dollars?
Des dizaines de milliers, des centaines de milliers et, oui, des millions de dollars; j’ai déjà vu cela. Sans parler de tous les salaires et bénéfices des équipes Web qui sont souvent composées de plusieurs personnes, des dizaines, des centaines; oui oui, j’ai déjà vu ça…